– Voilà un sujet pour alimenter des débats animés entre amis et fournir une belle cause pour les tribunaux. Les propriétaires ont-ils le droit d’interdire à leurs locataires de fumer dans leur logement ? C’est une atteinte à la vie privée et une forme de discrimination, diront les uns. C’est une atteinte à la vie privée qui peut être justifiée pour protéger la santé de tous les locataires, argumenteront les autres. Nous penchons vers ces derniers. Bien sûr, il faudrait l’expertise de juristes et de scientifiques pour émettre une opinion inébranlable sur cette question. Il est en effet difficile de déterminer où s’arrêtent les droits et libertés des uns, et ceux des autres, de concilier la liberté du fumeur de griller des cigarettes dans son salon, et le droit du voisin non-fumeur de préserver sa santé. Difficile aussi de déterminer quelle est la moindre atteinte aux droits. Bref, de trouver un équilibre, un accommodement raisonnable si on peut dire, pour les fumeurs et les non-fumeurs qui habitent le même édifice.
Au Québec, aucun tribunal n’a encore été saisi de la question. Un locataire pourrait pourtant porter plainte devant la Commission des droits de la personne si un propriétaire inscrivait dans le bail qu’il est interdit de fumer dans le logement loué. Il pourrait évoquer l’atteinte à la vie privée et la discrimination basée sur un handicap ou la perception d’un handicap. Eh oui ! Les arguments économiques que les propriétaires de logements peuvent faire valoir pour justifier le refus de louer un espace à un fumeur ne sont pas ceux qui motivent notre position. Bien sûr, un appartement occupé par des fumeurs peut être plus endommagé et défraîchi que celui des non-fumeurs. Mais pas nécessairement. Des non-fumeurs peuvent aussi laisser un logement en très mauvais état et occasionner des frais au propriétaire. C’est vraiment le souci de protéger la santé publique qui doit justifier l’interdiction de fumer dans certains édifices à logements. Il est bien documenté maintenant que la fumée secondaire du tabac est néfaste pour la santé. La fumée secondaire contient les mêmes 4 000 éléments chimiques et les quelque 50 substances cancérigènes que la fumée inhalée directement, rappelait récemment la Société canadienne du cancer. Or, il est utopique de penser que la plupart des logements sont bien isolés, bien ventilés et que la fumée des appartements des fumeurs ne se retrouvent pas dans l’air que les autres locataires respirent. La santé des uns est donc menacée par la liberté de fumer des autres. À première vue, il peut paraître odieux de s’attaquer à la liberté des gens, de se mêler de ce qu’ils font dans leur espace privé. Ce ne serait toutefois pas la première fois dans l’humanité que les droits individuels sont atteints pour favoriser le bien collectif. Les gens n’ont ainsi plus le droit aujourd’hui de disposer de leurs déchets, de leurs égouts à leur guise. Certains estiment que les locataires à faible revenu seraient pénalisés si les propriétaires refusaient de louer leur logement à des fumeurs. Il nous apparaît plus inacceptable que des non-fumeurs à faible revenu soient obligés de respirer la fumée des autres parce qu’ils n’ont pas les moyens de se loger ailleurs, dans des lieux sains. Il y a 10 ans, il aurait été impensable de croire que la cigarette serait bannie des bars et des restaurants. Presque impossible aussi d’imaginer que chez notre voisin américain, des États interdiraient de fumer dans les automobiles lorsque des enfants sont à bord. Et pourtant, c’est aujourd’hui une réalité. Bien sûr, l’interdit qu’envisagent certains propriétaires sera difficile à appliquer. Il pousse cependant à faire une réflexion sérieuse.
SOURCE : Le Soleil, Éditorial, vendredi, 30 mars 2007, p. 16
Breton, Brigitte
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