– Les terrasses fermées, les fumeurs sont restés chez eux. Les restaurants et bars du Québec ont connu leur pire début d’hiver depuis des années, le premier depuis que leurs clients ne peuvent plus fumer dans leurs établissements. Leurs revenus ont chuté de plusieurs millions de dollars en décembre dernier. Un mois de décembre qui, rappelons-le, était exceptionnellement doux. ” Préparez-vous : la baisse en janvier et février va être deux fois pire “, prévient Peter Sergakis, de l’Union des tenanciers de bars du Québec. ” Il n’est pas question que je sorte au froid pour fumer “, tranche Daniel, qui fume trois paquets de cigarettes par jour et qui les fume désormais dans un garage sombre, avec des copains. Les restaurants québécois ont perdu 30 millions en recettes, si l’on compare le mois de décembre 2005 à décembre dernier; les bars, 8,5 millions. Les dernières données de Statistique Canada, dévoilées hier, nous apprennent aussi que dans les autres provinces, les recettes ont plutôt légèrement augmenté.
C’est cette baisse, à l’arrivée du froid, que craignaient de nombreux tenanciers de bar en guerre contre la loi 112 qui empêche leurs clients de fumer à l’intérieur.
” C’est catastrophique pas seulement pour les bars, poursuit Peter Sergakis, mais pour les fournisseurs. Les brasseurs commencent à s’inquiéter beaucoup. ” L’Union s’attend à une baisse du chiffre d’affaires de 25 % pour l’ensemble des débits de boissons, dans les mois à venir. Plusieurs fumeurs préfèrent maintenant se retrouver chez un collègue à la sortie du bureau. Daniel et ses copains ont trouvé une autre solution : ils ont aménagé un garage privé, dans un immeuble à
logements de l’Ouest-de-l’Île. Une douzaine d’hommes s’y retrouvent tous les soirs, après le travail. À 18h, hier, l’endroit était déjà très, très enfumé. Trop pour un non-fumeur, malgré le système de ventilation que le groupe a installé. Il y a aussi un petit gril, une cafetière, des toilettes, deux frigos, une radio et le menu de la rôtisserie la plus proche. ” Ce n’est pas une question d’argent, c’est une question de cigarettes, explique Daniel, qui préférait que l’on ne donne pas son nom de famille pour éviter que le propriétaire reconnaisse son garage. Pour moi, les bars, c’est fini. Et les cafés aussi. Car un café sans cigarette, ce n’est plus un plaisir. ” La décroissance pour les bars s’était déjà annoncée en novembre, avec une diminution de 18 % des recettes, comparé à l’année précédente. Décembre confirme la baisse.
Les clients vont ailleurs
Les restaurants ont plutôt observé une diminution de 8 % de leurs recettes, de décembre 2005 à décembre 2006. ” Nous sommes vraiment dans une période de décroissance “, indique François Meunier, de l’Association des restaurateurs du Québec. Oui, il y a eu la loi 112, dit-il, mais il y a aussi un ralentissement économique qui fait mal aux restaurants. ” La capacité de dépenser des gens est restreinte “, explique François Meunier. Alors les consommateurs vont plutôt sortir dans les restaurants ” à service restreint “, les comptoirs de restauration rapide où la note est moins élevée. Quand l’économie va mal, le secteur de la restauration et du divertissement est le premier touché, rappelle M. Meunier. Pour ce qui est de la cigarette, les restaurateurs ne s’en plaignent généralement pas trop, dit-il. Jean Bédard, président de La Cage aux sports, explique que ses restaurants ont évité la catastrophe. Le mois de décembre 2006 a été comparable à celui de l’année précédente. ” Les serveuses nous disent que les clients réguliers, fumeurs, restent moins longtemps, explique-t-il. Est-ce que, en contrepartie, les clients non-fumeurs restent plus longtemps ? Peut-être. ” L’argument tient pour les restaurants, mais pas pour les bars, dit Peter Sergakis. ” Les non-fumeurs, ce n’est pas notre clientèle, dit-il. Ils ont un autre mode de vie. Ils ne sortaient pas dans les bars avant, ils n’y vont pas plus maintenant. ”
SOURCE : La Presse, Actualités, jeudi, 1er mars 2007, p. A3
Bérubé, Stéphanie
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